L'éco-conception de sites web vs. services : 
principes et synergies

06 septembre 2021
Stéphanie Leroux et Simon Vandaele du collectif Translucide nous présentent leurs parcours et leur vision de l'éco-conception.

Bonjour à tous les 2 ! Pour commencer, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

KOïNGAStéphanie : Bonjour Florie ! Je suis Stéphanie Leroux, la fondatrice de Koïnga. Après de nombreuses années (trop !) la tête dans le guidon, j'ai eu une prise de conscience écologique tardive (mieux vaut tard que jamais !) qui m'a fait remettre en question tout mon mode de vie, que ce soit personnel ou professionnel. Je développe à présent des sites web selon une démarche d’écoconception afin de limiter leur empreinte environnementale.

Translucide
Simon : Et moi c’est Simon ! Je fais du web depuis 20 ans, je suis un dinosaure d’Internet ! J’ai travaillé dans des agences web, des « pure players » qui ne vivent que grâce à leurs sites, au nombre de visiteurs et aux publicités. Puis j’ai basculé dans le monde de l’écologie. Je ne voyais pas comment faire pour intégrer cette dimension dans ma vie professionnelle alors j’ai quitté le numérique. En développement on devient vite obsolescent soi-même si on ne connait pas la dernière technologie. Cela va plus vite que la musique, il faut toujours s’adapter… J’ai créé Translucide en tant que freelance il y a 4 ou 5 ans avec ce besoin de sortir de l’opacité des agences en termes de compétences mobilisées et de technologies, du jargon et du faire-valoir. Pour moi, tout doit appartenir à tout le monde et être accessible ! J’ai créé le CMS (Content Management System) en me disant je veux savoir comment ça fonctionne, quels sont tous les tenants et aboutissants, pour permettre aux autres de faire aussi en toute autonomie.

Qu'est-ce que l' « éco-conception de sites web » ?

Simon : Il y a un débat là-dessus… Nous on dit que nos sites sont éco-conçus. On fait de notre mieux pour faire sobre et léger. Mais l’éco-conception ce n’est pas optimiser quelque chose qui n’est pas optimisé. L’éco-conception c’est l’avant-projet, c’est l’étude du besoin. Et on doit faire la différence entre l’envie et le besoin. Il y a un changement de paradigme important ! 70 à 80% de ce que l’on nous demande n’est jamais (ou très rarement…) utilisé. Les gens ne voient peut-être que 5% ou 10°% d’un site. Ils font rarement plus d’1 clic et passent moins de 10 secondes sur une page en moyenne !
 
Stéphanie : Il faut savoir qu'un site web a une empreinte environnementale non négligeable, de sa création jusqu'à sa fin de vie. Eco-concevoir un site web permet de minimiser son impact en questionnant les besoins fondamentaux et les fonctionnalités avant même sa conception. Ensuite, lors du développement, il est possible de réduire cet impact avec un code optimisé, des requêtes vers les serveurs limitées, des images réduites et compressées, un design épuré...
 
Simon : Oui, il faut aller vers des solutions minimales et percutantes dans lesquelles l’utilisateur final a vraiment et uniquement ce dont il a besoin. On va à l’inverse de la tendance actuelle qui est l’acquisition de l’attention des gens, comme sur Facebook. Notre but est que les gens restent le moins longtemps possible sur nos sites tout en obtenant l’information qu’ils cherchaient. 50%de la consommation d’un site est liée à son visionnage. Moins les gens restent sur nos sites, moins ils utilisent leur navigateur et par extension leur ordinateur.
 
Stéphanie : Et il ne faut pas oublier sa fin de vie. Un site dont les informations sont obsolètes ou qui n'est plus consulté a toujours un impact…autant le supprimer !
 
Simon : Chez Translucide on est vraiment dans la maxime de Saint Exupéry qui dit que la perfection est atteinte non plus quand il n’y a plus rien à ajouter mais quand il n’y a plus rien à retirer ! Quels ingrédients fondamentaux je dois garder pour que le gâteau ait encore un bon goût ? Plutôt que de rajouter un glaçage, une cerise ou autres... On peut ajouter des tonnes d’ingrédients mais c’est la qualité des ingrédients nécessaires et le savoir-faire du pâtissier qui importent !   

Comment êtes-vous « tombés » dans le domaine de l’éco-conception de sites web et qu’est-ce qui vous a inspiré ?

Simon : A l’époque où j’ai quitté le numérique, je voulais créer un éco-lieu. J’étais obsédé par l’autonomie et le savoir-faire. Cela n’a pas fonctionné mais cela m’a beaucoup changé ! Je suis revenu au numérique, ce que je connaissais le mieux, mais j’ai « capitalisé » et transformé cette expérience dans autre chose. Je me suis mis à faire des sites dans des domaines qui touchaient à l’écologie ou à l’économie sociale et solidaire. J’ai découvert l’éco-conception qui existait pourtant depuis 15 ans environ mais de manière relativement cachée. A l’époque ça n’était pas la tendance. On ne parlait pas de numérique responsable ou de web éco-conçu. Finalement cela correspondait à mes valeurs, à ce que je faisais, à ma philosophie autour de la sobriété, l’efficience, le « faire beaucoup avec peu ».
 
Stéphanie : De mon côté, quand je me suis formée à la création de sites web il n'y avait aucune notion d'écoconception dans tout ce que j'ai appris, au contraire même… Ne voulant pas faire ce métier n'importe comment, j'ai décidé de faire un stage auprès d'une personne qui maîtrise le sujet. En effectuant des recherches sur Internet je suis tombée sur le site de Simon (https://www.translucide.net/) et j’ai découvert le développement de sites éco-conçus. J'ai travaillé plusieurs semaines auprès de lui et j'ai aimé son côté "radical". Il questionne tout, tout le temps, dont l'utilité des fonctionnalités d'un site, voire du site en lui-même ! Depuis, j'ai fait plusieurs projets avec Simon et d'autres personnes du collectif. Ce sont eux qui m’inspirent !

Simon peux-tu nous en dire plus sur Translucide ? 

Simon : Au départ Translucide est un CMS (Content Management System) que j’ai développé à partir de technologies éprouvées et qui s’inscrit donc dans cette logique qui me tient à cœur du savoir faire soi-même, en autonomie et en comprenant la complexité sous-jacente. Je faisais déjà des CMS souvent propriétaires qui avaient tendance à ajouter des strates au fur et à mesure des années et des nouvelles méthodologies de développement. Donc plus d’opacité, moins de facilité d’accès, etc. Translucide c’est un système global et complet, qui se lance vite, sans une tonne de librairies, etc. ! Je me suis surtout demandé comment les utilisateurs pourraient ne pas avoir besoin de moi pour modifier leurs sites. Encore aujourd’hui, sauvegarder, modifier ou transférer un site c’est long et périlleux pour beaucoup de personnes même avec des systèmes comme WordPress. Au début je voulais un système qui tienne en 1 seul fichier, puis sans base de données…j’avais beaucoup d’objectifs, je n’ai pas pu tous les atteindre face aux besoins qui m’étaient partagés. C’est une sorte de confrontation entre ce que les gens veulent et la technique nécessaire pour le réaliser.
 
Translucide
Et puis Translucide c’est aussi une communauté ! Des personnes ont été séduites par la simplicité du CMS pour créer des pages HTML sans avoir besoin de trop de connaissances techniques. Il faut quand même un petit bagage technique minimum mais on est loin de la complexité et du jargon des systèmes habituels ! Puis nous avons fait des rencontres lors de conférences sur les impacts du numérique. Des développeurs, avec des aspirations très fortes en termes d’écologie dans leurs vies, ont rejoint notre philosophie. Il faut être réaliste face à la société dans laquelle on vit : les gens veulent des sites alors autant les faire au mieux… ! On a ce rôle à jouer à travers la pédagogie et à travers la réalisation de sites sobres et légers.
 
Aujourd’hui nous sommes un noyau dur de 4 personnes et en tout une dizaine de développeurs, graphistes, experts en référencement, etc. sur Nantes et Paris. Ce n’est plus mon entité personnelle mais un collectif. On est tous indépendants et on se réunit autour de projets communs en fonction des compétences requises. On fait de la veille sur l’éco-conception et le numérique, et de la prospection aussi. On fonctionne sur la confiance !
 
Stéphanie : Oui Translucide est devenu un super collectif d'artisans du web écoconçu. Je le disais, ce sont principalement ces personnes qui m'inspirent car elles font tout pour être en accord avec leurs valeurs que ce soit dans leur vie personnelle ou professionnelle et c'est très important pour moi.
 
Simon : Une à deux fois par an on organise justement les « journées des artisans du web éco-conçu ». Ce sont 20 à 50 personnes qui gravitent autour de Translucide et qui viennent monter en compétences sur l’éco-conception. Mais on ne veut pas trop s’agrandir, le but c’est de faire des projets avec des personnes qui ont la même philosophie. C’est organique ça se fait tout seul. J’en suis fier, c’est un collectif qui fonctionne, on a des projets de plus en plus chouettes, les gens qui viennent nous voir ont de vraies valeurs comme toi ! Ils veulent que tout leur écosystème soit aligné avec leurs valeurs, y compris le numérique qui est une part importante de l’activité de tout le monde. Ce n’est pas forcément génial mais c’est comme ça aujourd’hui alors la question pour tous c’est : comment faire pour être globalement cohérent ?

Stéphanie, peux-tu nous parler d’un ou deux projets marquants ? 

AdaptavilleStéphanie : Le projet le plus marquant pour moi a été celui d'AdaptaVille. Premier projet d'envergure depuis que je fais des sites web et qui a vraiment demandé un gros travail en amont afin d'analyser les besoins et de les questionner en profondeur. Nous avons pour cela effectué une enquête auprès d'un panel de futurs utilisateurs pour connaître leurs besoins. Résultat, un site simple et efficace malgré le grand nombre d'informations disponibles sur le site. Cela a demandé plusieurs mois de travail avec une équipe complète (webdesign, développement, intégration, référencement).

Simon : C’est vrai qu’Adaptaville est l’un des derniers projets très intéressants que l’on ait faits. On a travaillé avec l’Agence Parisienne du Climat de bout en bout. A travers ces interviews utilisateurs on s’est rendu compte que ces derniers avaient du mal à définir quelque chose qui n’existait pas encore ! On n’est pas hyper forts là-dessus, je pense que l’on manque de méthodologies par rapport à l’UX ou l’agile. On discute sur la base du cahier des charges et c’est souvent le graphiste qui va questionner le besoin et faire le maquettage. Les graphistes de la communauté Translucide connaissent de plus en plus les contraintes et limites du CMS.

Que signifie « service » pour vous ?

Stéphanie : Je dirais que c'est quelque chose (un outil, une méthode, un processus...selon le domaine) que l'on met à la disposition d'autres personnes.
 
Simon : Je ne sais pas trop de mon côté… Nous, à travers le développement des sites, on sensibilise les clients à tout : au numérique bien entendu, mais on leur explique aussi qu’un site c’est infime par rapport au matériel, au stockage, etc. Un site Internet doit être percutant et doit donner l’information dont la personne a besoin. Mais il doit aussi permettre de passer l’action, de vendre un service ou un produit. Le numérique rend un service mais je trouve qu’il s’est accaparé l’information. Avant Internet on arrivait à faire les mêmes choses qu’aujourd’hui. L’effet rebond est venu avec et on surconsomme des services qui ne sont pas fondamentalement nécessaires. Je me bats beaucoup sur l’importance ou non, l’utilité ou non d’Internet parce que son coût environnemental est juste énorme. Mais sur cette notion de « service », le mot que j’aime bien c’est « rendre service ». Faire don de mon temps pour aider les autres…ça c’est un beau service ! Avec Internet ce type de service est devenu payant, ou parfois il est gratuit mais il a souvent un coût caché. On peut aussi faire soi-même son site avec des systèmes comme WordPress et des hébergements pas chers mais cela a un coût caché social, environnemental, etc.

Connaissiez-vous le Design de Services avant de découvrir beewö ?

Simon : Non pas du tout. Je suis développeur et j’ai tendance à focaliser sur la partie numérique même si je cherche à voir l’impact de manière un peu plus globale. Mais cela me parait intéressant et c’est à creuser ! C’est l’intérêt du collectif, on a une vision plus macro que d’être tout seul et cela ouvre des perspectives. 

Stéphanie : Moi non plus je ne connaissais pas le Design de Services avant de développer le site de beewö ! Je n'en avais jamais entendu parler et j'avoue que, jusqu'à ce que je te demande de me l'expliquer, je n'en comprenais pas le sens ! Lors de l’un de nos premiers échanges, j'ai compris grâce à ton exemple de séjour à l’hôtel ou en camping que le design de services permettait d'analyser le service du début à la fin (recherche, réservation, arrivée du client, vie sur place, départ...) avec au centre l'utilisateur (ici, le client) et ses besoins, ce qui peut paraître évident mais qui n'est pas toujours fait en amont et passe souvent après la rentabilité.
 
Simon : C’est vrai ! La difficulté n’est pas dans la méthodologie aujourd’hui je pense, mais dans le financement. Les gens arrivent avec un cahier des charges et demandent combien ça coûte ? Mais ça représente déjà un coût de faire un cahier des charges! Au-delà du développement et du graphisme, c’est la gestion de projet qui est importante. Ce n’est pas assez formalisé et les clients ne dédient pas forcément de budget et de temps à ça ou à l’UX et au Design de Services. Mais pour moi c’est comme l’accessibilité… on nous questionne aussi beaucoup sur ce sujet dernièrement et c’est un aussi gros boulot que l’éco-conception ou que le design de services ! Savoir faire tout ça…c’est difficile !

Que pensez-vous de l’« éco-conception de services » ?

Stéphanie : Pour moi c'est quelque chose d'indispensable et qui devrait être appliqué dans tous les domaines. On pense désormais facilement à éco-concevoir un objet mais c'est moins évident pour un service alors que c'est tout aussi important. A chaque étape d'un service, il est possible de limiter son impact sur l'environnement.
 
Simon : Oui cela me parait logique d’appeler la démarche comme ça si on cherche à regarder l’impact global d’un service. Nous on parle du CMS et de l’impact environnemental des sites que l’on développe. C’est déjà un écosystème immense en soi ! On regarde tous les médias, tout ce qu’il y a derrière le site en lui-même. Et on met en perspective avec tout le reste : le matériel, l’usage du streaming, etc.

Quelles synergies entrevoyez-vous avec votre activité d’éco-conception de sites web ?

Stéphanie : L'écoconception numérique est pour moi une notion plus large que celle d’écoconception de sites web. Elle englobe le matériel informatique (ordinateurs, smartphones, serveurs...) qui a d'ailleurs le plus d'impact, les logiciels, les applications, etc. On peut aller encore plus loin !
 
Simon : On a du mal à avoir cette vision macro parce qu’on est la tête dans le guidon ! Cela va vite, on a des délais à respecter… De ce point de vue, la méthode agile est intéressante mais on a du mal à l’appliquer vraiment. Faire des itérations, des tests…il faudrait aussi en profiter pour enlever ce qui ne fonctionne pas ou n’est pas nécessaire. J’ai assisté à une conférence sur le thème du « code 0 déchet ». L’intervenant avait utilisé les 5 R. La question de ce que l’on enlève est intéressante. L’année dernière j’ai enlevé plus de lignes de code que je n’en ai ajouté dans le CMS. Pour moi c’est une avancée ! Même s’il est très léger, on peut encore l'améliorer !
 
Pour moi, si on veut le site le plus éco-conçu possible c’est effectivement un travail d’UX ou de Service Designer en amont, avant le cahier des charges. Nous on arrive toujours au moment où le cahier des charges est déjà fait…donc pour moi on a déjà raté le projet parce qu’on ne va faire que de la réduction, de l’amélioration, de l’optimisation… Mais on ne va pas sur la question des besoins fondamentaux. C’est un peu un mélange d’UX et de gestion de projets je trouve. Si l’UX ou le Service designer détermine les besoins en amont et va même jusqu’à définir des wireframes, alors on peut rédiger le cahier des charges à partir de cela et on sera plus percutant. On peut se planter aussi je pense parce que l’on rencontre l’utilisateur dans ce type de démarche et je ne suis pas sûr que l’utilisateur va percuter ?!  Il y a toujours une part de risque mais on doit pouvoir améliorer au fur et à mesure, c’est une question d’optimisation constante.
 
On a encore l’impression que ces méthodes de design demandent beaucoup de temps alors qu’on est dans des temps courts sur ce type de projets. Et puis ce qui prend le plus de temps finalement ce sont les validations et les aller-retours, ce n’est pas la production en soi. On veut aller vite comme un ordinateur va vite mais en fait…on est des humains !  Mais encore une fois, je pense que c’est à creuser et qu’on méconnait ces approches.

Un dernier mot ? 

Simon : Je pense que le futur de Translucide c’est probablement de faire de la dénumérisation…comment fait-on moins de sites ? Un site ne sera jamais « vert ». Tout ce que l’on peut faire c’est le réduire, l’optimiser pour minimiser son impact. Le meilleur site d’un point de vue écologique est celui qui n’existe pas ! Il nous arrive de demander à nos clients s’ils ont vraiment besoin d’un site, voire de ne pas travailler avec certaines personnes. Ils vont certainement voir d’autres développeurs pour réaliser leurs envies mais nous sommes là pour nous battre contre des idées reçues, des croyances, des envies… C’est très philosophique et lié au désir personnel. Il faut créer une forme notoriété, de confiance autour d’un système qui n’est pas mainstream. On est confrontés à la peur de faire appel à des indépendants, d’utiliser un nouveau système, de faire face à beaucoup d’inconnus. Mais c’est avant tout des rencontres, des relations humaines !

Stéphanie : Merci à toi :-)

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